jeudi 1 février 2018

La femme qui fuit - Anaïs Barbeau-Lavalette

Anaïs Barbeau-Lavalette n'a pas connu la mère de sa mère. De sa vie, elle ne savait que très peu de choses. Cette femme s'appelait Suzanne. En 1948, elle est aux côtés de Borduas, Gauvreau et Riopelle quand ils signent le Refus Global. Avec Barbeau, elle fonde une famille. Mais très tôt, elle abandonne ses deux enfants. Pour toujours. Afin de remonter le cours de la vie de cette femme à la fois révoltée et révoltante, l'auteur a engagé une détective privée. Les petites et grandes découvertes n'allaient pas tarder.

  • Auteur : Anaïs Barbeau-Lavalette
  • Éditeur : Marchand de feuilles (Québec), Le Livre de poche (France)
  • Année de parution : 2015
  • Nombre de pages : 378 pages 
Coup de 
(ou 20/20)

J'ai lu La femme qui fuit dans le cadre d'un de mes cours à l'université. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, bien que je savais ce livre être un énorme succès au Québec et en France. Laissez-moi vous dire que j'ai été avalée tout entière par ce roman et qu'il m'a recrachée choquée, émerveillée, détruite. Anaïs Barbeau-Lavalette nous a laissé un chef d'oeuvre qui marquera longtemps les esprits. 

Avec La femme qui fuit, l'auteure retrace et romance la vie de la grand-mère qu'elle n'a jamais connue, Suzanne Meloche, laquelle a tout laissé tomber pour pourchasser la liberté. L'histoire de cette femme habitée d'un sincère instinct de provocation est dépeinte sur une période s'étendant de 1930 à aujourd'hui. Vers la fin de l'adolescence, Suzanne quitte son Ontario natal et rejoint le Québec dans l'espoir d'y briller. Elle y rencontre les signataires du Refus global, desquels elle restera toujours en périphérie, un peu par dépit, un peu par orgueil. Elle épouse le peintre Marcel Barbeau, avec qui elle a 2 enfants. S'ensuit la dissolution du groupe et de la famille, quand Marcel s'exile pour pratiquer son art et que Suzanne comprend qu'elle est devenue «cette femme-là. Celle, seule, qui attend». S'ensuit une fuite constante à travers le monde. À force de fuir ses regrets et ses échecs, c'est sa vigueur qui fuite lentement par tous les pores de sa peau, au point où il ne restera d'elle qu'une coquille vide, fantôme d'une amante ardente, d'une mère aimante et d'une artiste passionnée.

  

L'histoire se lit littéralement toute seule, tant elle est passionnante. On a l'impression de traverser toutes les époques, tous les territoires, toutes les souffrances. Le livre est très ancré dans l'histoire québécoise, mais je vous assure qu'il saura tout autant rejoindre un public européen. Que l'on soit ou non à l'aise avec le Refus Global, La femme qui fuit s'avère être un roman idéal pour en apprendre plus sur ce mouvement monumental, mais aussi pour en apprendre plus sur soi et sur l'humanité. Par ailleurs, les émotions sont tellement fortes que le livre rejoint une forme d'universalité. Je suis pratiquement sûre que personne ne peut rester de marbre devant cette histoire.


Les thèmes abordés dans le roman sont variés, passionnants et exploités avec brio : féminisme, maternité, abandon, art, liberté, sexualité... C'est un portrait complet de la société ''selon Suzanne'' qui est dressé dans le roman. Chacun y trouve son compte, y retrouve un peu de soi. 

Ce sont surtout les personnages féminins qui sont mis de l'avant dans le roman, l'œuvre étant centrée sur les relations mère-fille. Cinq générations de femmes s'enchaînent, allant de la mère de Suzanne à la fille d'Anaïs Barbeau-Lavalette, même si Suzanne Meloche reste au centre de l'histoire. Les autres sont présentes pour soutenir son souvenir : «nous sommes ensemble et nous te saluons, Suze», mais toutes vivent une réalité différente : femme effacée, femme survoltée, femme trouée, femme aimante, femme aimée. Il est d'ailleurs très intéressant que l'auteure ait choisi de se positionner du côté des femmes pour raconter les événements du Refus global, sachant qu'ils sont plus souvent perçus d'un point de vue masculin. 

Il se dégage de tous les personnages mis en scène par Barbeau-Lavalette un réalisme poignant. L'écrivaine n'a pas cherché à glorifier les signataires du Refus global, souvent considérés comme les grands pionniers de la modernité québécoise. À l'instar de ce qui a été dévoilé dans le documentaire Les enfants du Refus global, le livre ne cache pas les nombreux suicides, abandons d'enfants et déceptions qui ont suivi la publication du manifeste. On s'attache profondément aux personnages, peut-être parce qu'ils ont l'air tellement perdus et qu'on se sent un peu moins seul avec eux. 


La femme qui fuit est l'un de ces romans qui semblent avoir été écrits dans un souffle, comme si Anaïs Barbeau-Lavalette avait voulu se plier à l'urgence de vivre de sa grand-mère. Les phrases sont succinctes, les images sont plus fortes encore. Le roman est écrit à la deuxième personne du singulier, un peu comme si l'auteure avait voulu s'adresser  directement à sa grand-mère. 

En conclusion, La femme qui fuit, d'Anaïs Barbeau-Lavalette est un roman coup de poing abordant les thèmes de la liberté, de l'échec et du féminisme. L'auteure y fait revivre les signataires du Refus global, en mettant les femmes de la lignée de Suzanne Meloche au centre de l'histoire et de l'Histoire. Les personnages attachants doublés d'une plume innovatrice expliquent amplement le succès monstre qu'a eu ce livre dans les dernières années.

BREF. Faites juste le lire, vous allez voir. 


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